Curieuse époque que la nôtre, qui se voit amenée à formuler un nouveau commandement que Dieu n’imaginait même pas en confiant à Moïse les tables du Décalogue ! Tu ne tortureras pas : c’est donc que l’on torture aujourd’hui, et en grand ; c’est donc que l’on a besoin de réveiller nos consciences…peu torturées par le fait de la torture.
La torture est en pleine expansion de par le monde. Dans certains pays, elle s’institutionnalise ; elle devient même une façon de gouverner, camouflée sous des traitements psychiatriques ou des slogans de sécurité nationale. On invente des systèmes raffinés pour torturer proprement, sans laisser de trace. On exporte du matériel sophistiqué de torture tout autant que des appareils ménagers. Auprès de cette rationalisation de la torture, l’Inquisition, dit Pierre Emmanuel, n’était qu’un « conte de nourrice ».
Notre esprit, hélas, s’habitue à voir les choses les plus monstrueuses. On refuse d’abord d’y croire, on réagit ensuite par saccades ou mollement. Et bientôt, on glisse sur une pente faite de tous les abandons, de toutes les complicités. Le moindre signe par lequel nous méprisons notre semblable peut, de mépris en mépris, faire de nous un bourreau impassible et même souriant.
Curieuse époque que la nôtre, qui peut se vanter de voir la torture interdite par les constitutions et les déclarations universelles et qui s’ébahit d’apprendre qu’elle prolifère avec les pseudo-justifications les plus subtiles ! Le pape Paul VI en a parlé comme d’une dangereuse « épidémie ». « Les tortures, dit-il, sont à condamner absolument, elles ne sont jamais admissibles, pas même sous prétexte d’exercer la justice et de défendre l’ordre public… » Il nous faut radicaliser le combat contre la torture, ne pas accepter de demi-mesures, en faire une question de principe pour dénoncer la torture quel qu’en soit le motif en quelque lieu que ce soit.
Une magnifique mission appelle les chrétiens à l’avant-garde de la lutte pour l’abolition de la torture. Avec le même élan que d’autres générations ont combattu l’esclavage. Méfions-nous, ce mal est comme l’hydre à sept têtes. Il repousse vite, partout, en nous-mêmes.
Courage et persévérance.
Cardinal Roger Etchegary
(« J’avance comme un âne » Ed Fayard 1984).