Au fond de notre cœur, nous sommes un peu comme ces navigateurs qui parcourent des
mers en solitaire. Nous traversons nos propres vies les yeux rivés sur l’horizon : vers quelles
terres nouvelles nous conduiront les eaux profondes de l’existence ? Où nous mènera le
grand vent de l’Esprit ? Quel sillage laisserons-nous derrière nous ?
Il nous faut naviguer « à l’étoile », chercher le sens des vents, trouver le cap, choisir nos compagnons de bord,
tisser, parfois au risque des blessures, les liens, amoureux et fraternels, sans lesquels il
nous est impossible de hisser les voiles et de passer le cap de Bonne Espérance ! […]
Il nous aura fallu acquérir, contre vents et marées, le « pied marin », lutter contre le mal
de mer et celui, plus sournois, qu’on nomme « mal-être », refusant de sombrer quand le
gros temps, méchamment, nous mordit, et construire, jour après jour, nuit après nuit, – et
malgré tout ! -, une vie d’homme. Périlleuse traversée que celle de l’existence ! Il est si
long d’apprendre à vivre ! Si difficile de vivre la vie que, vraiment, nous souhaitons vivre !
Il nous faut un fanal, un phare dans la nuit, quelqu’un qui nous dise : « N’aie pas peur ! »
Il faut, pour traverser l’océan de nos vies, lever les yeux au ciel. Y lire patiemment la carte
de notre existence, y deviner la main qui, tendrement, nous porte dans le creux de la
vague, y découvrir fugacement, parfois, la trace de l’Éternel…
Car, nous le pressentons, la belle traversée, l’authentique aventure est celle – spirituelle –
dont les voiles se gonflent au souffle de l’Esprit.
Nous savons bien que, sans un coin de ciel, la vie manque de sel ! C’est au milieu des mers
que les marins souvent se demandent s’il y a « là-haut » un Créateur du ciel et de la terre ?
Voici que, sans tarder, il nous faut, nous aussi, faire nôtre cette question, voguer sur nos
mers intérieures, en cet espace secret où, marchant sur toutes nos tempêtes, viendra Celui
qui nous dira : « La Paix soit avec toi ! »
Voici que, sans tarder, il nous faut, nous aussi, rejoindre le peuple des marins qui
interrogent le ciel, le peuple des pêcheurs de sens et des guetteurs d’éternité qui voguent
vers les îles oubliées de l’intériorité. Jamais les eaux mystérieuses de la spiritualité n’ont
autant fasciné l’homme de la modernité ! Le voici soudain en quête de grand large et
d’horizons mystiques.
Soyons, nous aussi, de ce périple : larguons quelques amarres et osons la belle traversée
qui nous dévoilera ce Dieu de la Promesse qui veut faire de nos mains Ses propres mains
pour jeter les filets et ramener, joyeux, sur les rivages des hommes, un peu de Sa
tendresse…
Bertrand Révillion, rédacteur en chef du mensuel Panorama, 2015