Le cri de Job – Où donc est passée mon espérance ? Job 17, 15
Le cri de l’innocent bafoué
La Parole biblique n’a rien de lénifiant. Si elle propose la rencontre avec le Dieu très haut, qui met en marche Abraham, Moïse, les prophètes et le peuple des croyants, elle n’omet rien du tragique de la condition humaine. On y voit la violence et le mal à l’œuvre dès les premières pages. On n’échappe pas aux assauts de Béhémot et de Léviathan. A propos du mal, le théologien protestant Dany Nocquet observe : « Le Mal existe, indépendamment de Dieu… Dieu ne l’abolit pas, mais il le limite… L’engagement de Dieu dans sa création rejoint la révolte de Job contre l’injustice de la souffrance…Le visage de Dieu n’est pas reflété par la sagesse traditionnelle des amis de Job, mais par l’existence difficile et combattante de Job… Dieu nous appelle à prendre part à cette lutte jamais achevée. »
Celui qui s’applique à marcher avec son Seigneur a pour guides sa foi et son espérance, mais toujours le révoltent la détresse de l’homme, le juste bafoué, l’innocent martyrisé. Si la virulente protestation de Job conduit à son apaisement : « Maintenant, mes yeux t’ont vu » Job 42, 5, son cri nous interpelle aujourd’hui encore, et les questions posées par le serviteur fidèle humilié restent brûlantes d’actualité.
Dans la Bible, le portrait du Serviteur Souffrant évoqué en Esaïe au chapitre 53, fait écho à la lancinante lamentation de Job, et la même détresse s’exprime dans le psaume 22 (21), dont le premier verset est l’appel déchirant que reprend au Golgotha le Christ crucifié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Chrétiens engagés à l’ACAT, nous menons inlassablement ce combat contre le mal, présent aussi en nous, et dans nos communautés. Nous protestons, questionnons, interpellons, parce que des humains, des frères et sœurs, souffrent, écrasés et avilis par des bourreaux, appelant parfois la mort, ou maudissant le jour de leur naissance, accablés, comme Job, de solitude et de désespoir. Ce 26 juin 2020, pour la quinzième année consécutive, nous invitons les chrétiens à se joindre à nous pour la Nuit des Veilleurs, à porter dans la prière les victimes de la torture, les condamnés à mort, les étrangers maltraités.
Le malheur toujours recommencé
Comme il nous touche, Job, cet homme accablé, qui use ses dernières forces à crier sa détresse ! Dieu a accepté la mise à l’épreuve de son serviteur Job le Juste par le Malin. Anéanti par le deuil, et la douleur, physique et morale, Job résiste aux prêches de ses amis, qui reprennent le traditionnel couplet du paiement de la faute. Même lorsqu’il hurle sa protestation devant son créateur, Job ne rompt pas le fil du lien qui l’attache à son Dieu. La question du mal nous interpelle aujourd’hui encore. Avec le développement des moyens de communication, le douloureux XXème siècle a étalé au grand jour, souvent en « temps réel », ses turpitudes.
Après la Shoah, l’explosion de la bombe atomique, les horreurs du Goulag, on a voulu croire à des lendemains meilleurs : Plus jamais ça ! a-t-on clamé. Certains ont crié : « Dieu est mort ! » D’autres ont utilisé le nom de Dieu pour justifier des crimes… Décidés à donner une chance à la paix, des femmes et des hommes de bonne volonté ont rédigé après la 2ème guerre mondiale la Déclaration Universelle des Droits de l’homme, qui voulait offrir un avenir meilleur aux habitants de la planète, égaux en droits et en dignité, ouverts à la fraternité.
Hélas, 71 ans plus tard, l’état des lieux de notre monde reste désastreux et inquiétant. De nouveaux conflits éclatent, et les charniers mis à jour révèlent des tueries de masse, voire des génocides. Devant les nouvelles de massacres et de torture, on peut rester sans voix, tentés par le découragement.
Chrétiens, appuyés sur notre foi en un Dieu d’amour et de miséricorde, nous contemplons le Serviteur Souffrant, le Christ crucifié. Il a donné sa vie, il s’est abandonné au Père, il est à jamais aux côtés de ceux qu’on piétine, qu’on soumet aux supplices, qu’on emprisonne dans des caves, qu’on entasse dans des cales, qu’on affame et qu’on humilie, refusant de voir leurs visages d’enfants, de femmes et d’hommes, qu’on a défigurés, et voulu dépouiller de leur dignité d’êtres humains. Si le Christ porte les souffrances des hommes, nous sommes appelés nous-mêmes à la compassion, invités au sens premier du mot à souffrir avec ceux que nous portons aujourd’hui dans la prière.
L’invincible espérance, ce chemin que nous ouvre le Ressuscité au matin de Pâques
Dans le réquisitoire de Job contre son créateur qui l’opprime, se glisse la profession de foi étonnante, magnifique, qui affleure de ses entrailles : au plus profond de son malheur, Job reste croyant, fidèle à son Dieu. Je sais bien, moi, que mon rédempteur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la terre. Après mon éveil, il me dressera près de lui, et de ma chair, je verrai Dieu. Job, 19, 25-26
Les mots « Après mon éveil, il me dressera près de lui» font penser à la fresque orthodoxe de la descente aux enfers montrant le Christ, éblouissant de lumière, penché pour relever de leurs tombes les Vivants.
Au cœur des ténèbres, il est bon de penser à l’aube qui va poindre. Devant la souffrance, l’oppression, la torture, on peut se trouver anéantis… On peut aussi s’ouvrir à l’espérance, en joignant action et prière pour tendre la main à nos frères et sœurs en détresse. Avec Christian de Chergé, leur prieur, les moines de Tibhirine, ont été confrontés à la violence aveugle. Ils ont choisi de rester en Algérie, ravagée par une folie meurtrière. Réfléchissant avec ses frères à leur avenir immédiat, Christian a rédigé la prière : « Désarme-moi, désarme-nous, désarme-les ». Porter dans notre prière cette nuit les victimes et les bourreaux nous conduit à reconnaître que, quelque part, nous sommes participants de ce mal à l’œuvre, que nous avons donc besoin d’être délivrés du mal.
Veilleurs à l’écoute
« Je ne te connaissais que par ouï-dire, maintenant, mes yeux t’ont vu. » Job, 42, 5
Après la confrontation avec Dieu, Job s’incline. : « Que te répondrai-je ? Je mettrai plutôt ma main sur ma bouche. » Job 40, 4 .Devant la souffrance de Job, les 3 amis s’étaient d’abord tenus en silence, saisis de compassion.
Nous venons cette nuit soutenir nos frères et sœurs en souffrance. Nous vivons dans un monde surchargé de commentaires et de bruits parasites. Le livre de Job nous rapproche de l’essentiel et nous rend attentifs aux souffrants. Nous pouvons, au cours de la veillée, garder des temps de recueillement, pour méditer, contempler le Christ souffrant, et les visages de ces femmes et ces hommes que nous portons dans la prière. Christ a souffert, est mort, est ressuscité. En Christ qui nous a libérés, la souffrance n’est plus impasse, elle devient passage. Prions donc, avec confiance et persévérance, pour les victimes, et pour les tortionnaires. Par le Christ, et par l’Esprit Saint, remettons-les en Dieu, Père de toute miséricorde.
Groupe Sensibiliser les églises