Autour du feu dans le territoire de Belfort
La veillée s’organise dans le Prieuré Saint-Benoît de Chauveroche à Lepuix-Gy, petit paradis forestier à 15 km au nord de Belfort, loin de l’agitation citadine. Au programme de ce moment organisé depuis plus de dix ans par le groupe ACAT de Belfort et les moines bénédictins : un temps de prières, la présentation des victimes soutenues par l’ACAT, un repas partagé et l’écriture de lettres de soutien pour les victimes. À la tombée de la nuit, les participants descendent à petit pas dans le parc du Monastère, jusqu’aux bords de la rivière en contrebas. Des bancs ont été installés et chacun prend place autour du feu. La veillée se poursuit. Chants et prières pour les victimes à la lumière des flammes : le symbole d’un militantisme comme une lueur d’espoir, active au cœur de l’obscurité. Danièle, l’une des responsables du groupe de Belfort, reste pragmatique : le chemin est escarpé, on y voit mal. Le lieu est difficile d’accès pour les personnes âgées. Les bancs sont bancals. Le feu crépite, la rivière coule ; il faut donc installer une sono pour pouvoir s’entendre. Une veillée qui s’annonce comme un challenge. Pourtant, un sourire déterminé dans la voix, elle conclut : « C’est plus simple dans une salle classique, mais on persiste ! Parce que c’est très sympa. L’ambiance est spéciale et il y a un partage. Un partage sans clôture. »
Sur la route dans le Bordelais
Les groupes de Mérignac et Bordeaux marchent d’église en temple et de temple en église depuis près de dix ans. L’idée est bien accueillie par les prêtres et le pasteur, qui y voient une occasion de rapprocher leurs paroisses. Une belle illustration de l’œcuménisme ! La marche, c’est le chemin à parcourir pour éradiquer la torture et faire respecter la dignité humaine. C’est aussi l’opportunité de rencontrer ceux qu’ils n’auraient pas croisés autrement. Danielle, responsable du groupe de Mérignac, s’en réjouit : « Chaque année, on rencontre des gens dans la rue. Après un temps de prière, nous avons fait la première partie de la marche en silence. Trois jeunes qui nous avaient remarqués sont entrés dans la première église de notre marche, mi-gênés mi-moqueurs. À la sortie, nous avons discuté et ils ont finalement décidé de faire un bout de chemin avec nous. » La procession et ses banderoles ACAT passent devant plusieurs arrêts de tram et cheminent sur le trottoir de gauche pour être vues des voitures. Un conducteur curieux baisse sa vitre au feu rouge, le temps d’un échange. Plus loin, les habitants d’un campement de gens du voyage évangéliques leur assurent qu’ils se joindront à leurs prières.
À chaque étape, trois ou quatre victimes sont présentées. Des flambeaux sont allumés. Ils seront déposés devant l’autel de la dernière église. Tout avance, tout évolue, excepté ce chant que les marcheurs entonnent inlassablement : « Donne la paix à ton frère. »
Dans une maison d’arrêt en Champagne
Bravant le rythme incertain du milieu carcéral, Mireille, aumônier à la maison d’arrêt de Troyes, propose aux détenus des célébrations, des temps de partage et des entretiens individuels. En 2013, poussée par la qualité de ses échanges avec un groupe de détenus, elle a osé proposer un temps de partage un peu différent. Un temps pour inviter à s’ouvrir davantage au monde : la Nuit des veilleurs. Neuf personnes se sont présentées : un succès. L’une d’entre elles a même par la suite adhéré à l’ACAT ! Depuis, Mireille recommence chaque année. En 2018, quatre personnes assistent à la rencontre. Mireille a choisi trois victimes, s’assurant qu’aucune ne soit condamnée de droit commun ou confrontée à des irrégularités dans son procès : « Il y a toujours le risque de décentrer le débat sur la situation des détenus présents, et ce n’est pas le but. » Les participants lisent les profils, attentifs. À chaque fois, c’est la surprise, le choc. Les questions fusent. Ils réalisent l’ampleur des mauvais traitements. Ils sont consternés par le sort réservé aux défenseurs des droits. « Je sens qu’ils relativisent », explique Mireille. « Certains disent : ʺOn se plaint nous, mais bon, on a à manger ! Et puis en France, on ne risque pas la peine de mort !ʺ ». Le débat s’enflamme, et chacun y va de son petit mot ou de son long discours. Au cœur des discussions, il y a ces temps de prière autour d’une bougie que Mireille a apportée. On s’apaise, on se recentre. Quelle que soit sa foi.
Cette fois encore, la Nuit des veilleurs s’achève trop vite lorsqu’un surveillant y met fin avant l’heure. Mais l’un des participants souhaite en savoir plus sur l’ACAT, alors Mireille lui apporte deux exemplaires d’Humains. Depuis, il a été transféré, emportant les magazines avec lui. Qui sait ce qu’articles et Nuit des veilleurs auront éveillé en lui ?
Dans les couloirs de la mort de l’autre côté de l’Atlantique
Voilà maintenant dix ans que Colette et le groupe d’Épernay correspondent avec William, détenu dans les couloirs de la mort au pénitencier de Terre Haute dans l’Indiana (États-Unis). Petit à petit, une intimité s’est nouée : « On a une chance inouïe d’être tombées sur lui. Et lui aussi nous est très attaché, on est toutes un peu ses grands-mères », s’exclame Colette. Parce que « la foi de William pourrait déplacer des montagnes », le groupe glisse en 2013 un tract Nuit des veilleurs dans l’un de ses envois. William le transmet à ses compagnons. Surprise et émotion générale à l’ACAT : 18 des 55 prisonniers de l’unité se joignent à l’événement. « Pour lui, c’était énorme qu’on leur ait demandé quelque chose. Ça leur a rendu de la dignité », explique Colette. L’expérience est forte et se réitère en 2014, en 2015, en 2016. En 2017, l’élection de Donald Trump – qui affirme son intention d’exécuter au plus vite un maximum de condamnés – plonge William et ses camarades dans une forte déprime. Il n’y a pas de Nuit des veilleurs cette année-là au pénitencier.
Et puis, la vie reprend le dessus. En 2018, le « petit-fils » du groupe d’Épernay organise une nouvelle Nuit des veilleurs, à laquelle participent vingt-trois de ses codétenus : un engouement record de la part de ceux pour qui la prière est devenue l’unique levier d’action.